Iconoclasme

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L’iconoclasme (du grec: εἰκών, eikôn « image, icône » et κλάω, klaô, « briser ») est, au sens strict, la destruction délibérée d'images, c'est-à-dire de représentations religieuses de type figuratif et généralement pour des motifs religieux ou politiques. Au sens historique, l’iconoclasme ou Querelle des Images désigne un mouvement hostile au culte des icônes, les images saintes, vénérées à Byzance et dans l’Empire romain d'Orient. Il se manifesta aux VIIIe et IXe siècles par des destructions massives d’icônes et la persécution de ceux qui leur vouaient un culte, les iconodules ou iconophiles.

Histoire de l'iconoclasme byzantin

Le premier iconoclasme (730–787)

Du VIe au IXe siècle, la ferveur populaire pour le culte des icônes avait augmenté à tel point qu'on en était arrivé à des pratiques qui rappelaient le paganisme et la superstition. Le prosternement (en grec: προσκύνησις) devant une icône n'était pas choquant, mais on en était venu à des excentricités [1], comme, entre autres, prendre des icônes comme parrains d'enfants au moment du baptême [2]. Les histoires les plus extravagantes couraient sur les icônes considérées comme des êtres vivants, proférant des paroles ou versant des flots de sang lorsque des Juifs les perçaient d'une lance.

Les raisons de l'iconoclasme

L'empire romain d'Occident parut plus d'une fois sur le point de succomber au VIIe siècle sous les coups des envahisseurs arabes. En l'espace de vingt-et-un ans, de 695 à 716, six basileus furent successivement détrônés alors que les Slaves et les Arabes reprenaient leur marche, à l'assaut de l'Empire byzantin. L'ordre fut restauré par Léon III, le fondateur de la dynastie Isaurienne, qui joua alors le rôle de sauveur de l'Empire. Son souci fut d'assurer le maintien de la communauté de l'Empire, menacée par la nouvelle religion de l'islam. Il lui parut alors nécessaire de faire évoluer la foi chrétienne afin qu’elle plaise au plus grand nombre, et de diminuer le pouvoir de l’Église pour s'assurer du pouvoir absolu. Tout ce qui, dans le christianisme, pouvait paraître une forme d’idolâtrie liée au paganisme devait être supprimé. De nombreux évêques, et notamment de Constantinople, se laissèrent convaincre par ce projet de réforme, à l'exception de Rome et des patriarcats orientaux d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Ce sont surtout les moines, proches du peuple, qui s'élevèrent violemment contre cette réforme de l’Église. Apparaissant comme un contre-pouvoir face au pouvoir impérial, les moines firent donc l'objet d'une persécution qui dura jusqu'en 843, avec une accalmie au moment du deuxième concile de Nicée en 787. C'est ainsi que furent pris par l’empereur Léon III l’Isaurien (empereur de 717 à 741), les édits de 730 ordonnant de retirer ou de détruire les icônes des églises, ce qui fut fait partout dans l'Empire : il interdit l’usage d’icônes du Christ, de la Vierge Marie et des saints, et ordonna leur destruction. La position de l’empereur était renforcée par ses succès militaires : siège de Constantinople en 717-718, fin du versement du tribut aux Arabes. Le Patriarche Germain 1er de Constantinople prit la défense des icônes : il refusa d'abord de participer à l'assemblée de dignitaires ayant adopté les édits iconoclastes, puis refusa de les contresigner ; il fut déposé dix jours plus tard et banni.

Le fils de Léon III, Constantin V (empereur de 741 à 775), obtint également des succès militaires, ce qui renforça aussi sa position contre les iconodules. En 754, il fit réunir le concile de Hiéreia dans le palais du même nom, à Chalcédoine, pour faire condamner la vénération et la production des images. Ce concile iconoclaste avait même pour ambition de réévaluer toute l'histoire et toute la tradition de l’Église. Ainsi, pendant toute la durée de la crise iconoclaste, qui fut aussi une période de guerres incessantes et ruineuses, tout le domaine des figurations religieuses fut abandonné [3]. Sous l'empereur Constantin V Copronyme (741-775), la persécution se déchaîna avec une violence accrue. C'est dans ce contexte que Saint André le Calibyte et saint Étienne le Jeune furent suppliciés respectivement en 761 et 765.

La seconde période iconoclaste (813-842)

Le concile de Nicée n'arrêta pas la volonté de réforme des iconoclastes.
Les empereurs iconodoules connurent un règne malheureux, l'impératrice Irène fut renversée et Nicéphore 1er tomba face aux Bulgares. Sous Léon V l'Arménien (813-820), sous Michel le Bègue (820-829) et sous Théophile (829-842), la persécution contre les moines reprit.
La controverse iconoclaste naquit alors du refus de nombre de chrétiens, vivant ou non dans l’Empire romain d’Orient, de détruire leurs icônes. Les attaques contre le culte des icônes obligèrent ses défenseurs à élaborer une doctrine théologique qui justifiât et la fabrication, et la vénération des icônes. Saint Jean Damascène fut l’un des chefs de file de cette résistance.

La controverse théologique et le triomphe de l'Orthodoxie

Le dogme de l'Incarnation

Dès l'instant même où fut posée la question des saintes icônes, le dogme de l'Incarnation se trouva placé au cœur des controverses théologiques qu'elles suscitèrent. Une double vérité est en effet au centre du mystère de l'incarnation de Dieu, qui implique de concilier à la fois la nature de Dieu, Être invisible [4], et qu'on ne peut circonscrire puisque infini et illimité par essence, mais aussi, d'autre part, la réalité du Fils unique de Dieu, « image du Dieu invisible » [5], qui nous a bien révélé Dieu présent et devenu visible en une personne humaine, donc "circonscriptible". D'un côté, il paraît impossible de réaliser aucune image de Dieu ou de le circonscrire dans aucun contour, mais de l'autre, à travers l'icône du Christ, Dieu est réellement devenu visible pour les hommes. Le fond de l'argumentation iconoclaste ainsi que le fondement même de l'icône, étaient en effet de nature christologique [6]. Les iconoclastes mettaient en cause la vision chrétienne de l'Incarnation, et donc les rapports de Dieu et du monde, les questions de la grâce et de la spécificité de la Nouvelle Alliance.

Argumentation en faveur des icônes

Dès 730, Jean Damascène prenait la défense des icônes dans ses Traités contre ceux qui décrient les saintes images ; il développa en particulier l'argument fondamental de l'Incarnation : « Puisque l'Invisible, s'étant revêtu de la chair, apparut visible, qu'on représente désormais la ressemblance de Celui qui s'est montré [7] ». Écrits dans un style simple, les traités de Jean Damascène mirent leur argumentation à la portée du petit peuple et jouèrent un rôle important au cours du second concile de Nicée (septembre-octobre 787). Dans sa quatrième session, ce concile rassembla tous les passages bibliques et patristiques qui justifiaient le culte des images et déclara : « Les représentations de la croix, de même que les saintes images, qu'elles soient faites avec des couleurs ou de la pierre, doivent être placées sur les vases, les habits, les murs, les maisons et dans les chemins... Plus on regardera ces images, plus on se souviendra de celui qu'elles représentent, plus on sera porté à les vénérer en les baisant, en se prosternant, sans leur témoigner cependant l'adoration véritable qui ne convient qu'à Dieu seul, mais on leur offrira de l'encens et des lumières, comme on le fait pour la Sainte Croix et les saints Évangiles... Quiconque vénère une image, vénère la personne qu'elle représente. » L'image et la personne qu'elle représente ne sont donc pas de la même substance, contrairement à ce qu'affirmaient les iconodoules extrémistes, comme Théodore Studite [1].
Dans ses traités Antirrhetici, le patriarche Nicéphore 1er de Constantinople (806-815) établit la valeur des images et de tout l'art religieux en affirmant que « la vue conduit mieux que l'ouïe à la croyance ». L'image ne s'adresse donc pas aux seuls illettrés, mais à tous ceux qui participent aux mystères. En 836, les trois patriarches orientaux d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, adressèrent une lettre à l'empereur iconoclaste Théophile, affirmant qu'il est légitime de représenter Jésus Christ puisque le Verbe s'est fait chair. Ils firent état également des icônes acheiropoiètes (non faites de main d'homme) et miraculeuses.
Sur ces bases, et sans qu'il soit besoin de réunir un concile, le 11 mars 843, la patriarche Méthode 1er de Constantinople dirigea une procession solennelle depuis l'église Sainte-Marie des Blachernes jusqu'à la basilique Sainte-Sophie, symbolisant le retour des icônes dans l'église impériale : ce fut le triomphe de l'orthodoxie.

L'iconoclasme vu de l'Occident

Au plus fort de la persécution contre le culte des icônes, l'orthodoxie avait trouvé en la personne des pontifes romains des partisans déterminés et courageux des images. Mais, paradoxalement, il n'en fut pas de même après le deuxième concile de Nicée. Les actes de ce concile parvinrent en Occident dans une traduction grossière et inexacte : en particulier, « vénération des images » fut traduit par « adoration ». Ils provoquèrent alors une violente réaction et l'hostilité de l'empereur Charlemagne et des théologiens Francs. Malgré ses exhortations, le pape Adrien 1er qui refusait de s'engager, dut finalement céder devant l'obstination de Charlemagne. Le concile de Francfort en 794 voulut se poser en arbitre entre le concile iconoclaste de 754 et le septième concile œcuménique, aussi prescrit-il de ne pas détruire les icônes, mais aussi de ne pas les « adorer » : « Ni l'un ni l'autre concile ne mérite assurément le titre de Septième : attachés à la doctrine orthodoxe qui veut que les images ne servent qu'à l'ornementation des églises et à la mémoire des actions passées, [...] nous ne voulons pas plus prohiber les images avec l'un des conciles que les adorer avec l'autre, et nous rejetons les écrits de ce concile ridicule. » Le 1er novembre 825, le concile de Paris entérina les décisions du concile de Francfort. On peut dire que l'Occident a ignoré la théologie orthodoxe de l'icône fondée sur le mystère de l'Incarnation et sur le dogme christologique.

Notes et Références

  1. 1,0 et 1,1 Louis Bréhier, La Civilisation byzantine, Albin Michel, 1970, p. 235 à 237.
  2. Saint Théodore Studite félicite le spathaire Jean d'avoir choisi pour parrain de son fils l'icône de saint Démétrius : Lettres, 961-963.
  3. André Grabar, Byzance, L'Art byzantin du Moyen Âge, Albin Michel, 1967, p. 28.
  4. Évangile de Jean, 5, 37, et Deutéronome, 4, 12.
  5. Épître de Paul aux Colossiens, 1, 15.
  6. Olivier Clément, L’Église orthodoxe, P.U.F., 2002, p. 98-99.
  7. Migne, Patrologie grecque, 94, 1239.