Grand Carême

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Le Grand Carême est la période de préparation précédant la Semaine Sainte et la fête de Pâques. Selon l'un des plus importants théologiens orthodoxes du XXe siècle, Alexandre Schmemann: "avant tout le carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques"[1]. Historiquement, l'objectif initial du carême pré-pascal (maintenant connu sous le nom de Grand Carême) était la préparation, par le jeûne et la prière, des catéchumènes à leur baptême et à leur entrée dans l'Église, qui se faisait traditionnellement le jour de Pâques.

La période du Grand Carême est caractérisée par l'abstention de certains aliments, l'intensification de l'aumône, des offices religieux ainsi que de l'effort personnel pour agir en conformité avec la volonté de Dieu et persévérer dans la prière. Les aliments dont on s'abstient habituellement sont la viande, les produits laitiers, le poisson, le vin et l'huile. Étant donné que le jeûne est strictement interdit canoniquement le jour du Sabbat et le jour du Seigneur, le vin et l'huile sont autorisés les samedis et dimanches. Si la fête de l'Annonciation se situe pendant le Grand Carême, le poisson, le vin et l'huile sont autorisés ce jour-là.

L'importance et la rigueur du carême dans l'Église orthodoxe est à la mesure de l'importance qu'elle porte à la fête de Pâques.[2]

C'est en effet lors de la fête de Pâques que se rassemble le plus grand nombre de fidèles dans les pays de tradition orthodoxe ; c'est parfois, bien plus qu'à Noël (contrairement aux pays occidentaux de tradition catholique), le seul jour de fête où viennent même ceux qui ne pratiquent pas habituellement.

Dans l'Orthodoxie comme dans le culte occidental, le Grand Carême dure 40 jours ; mais contrairement à l'Occident, les dimanches sont inclus dans ce nombre. Le début du Grand Carême est fixé en fonction de la date de Pâques (qui est une fête mobile). Le Grand Carême commence officiellement un lundi, sept semaines avant Pâques, appelé le "Lundi pur". Il se termine le samedi de Lazare, la veille du Dimanche des Rameaux. Cependant, le jeûne continue la semaine suivante, appelée Semaine Sainte, jusqu'à Pâques.

Grand Carême
Structure :


La Pratique du Jeûne

Sans doute faut-il préciser que le jeûne n'est pas seulement un ensemble de règles alimentaires (en tous cas, le Carême ne saurait y être identifié) ; il est avant tout un épurement de ce qui est superflu et de ce qui peut gêner notre rapport avec Dieu. Il s'agit de réorienter son désir vers ce qui est essentiel. Il s'agit en cela de comprendre la parole du Christ quand il répliqua à Satan dans le désert (qui essayait de l'éprouver dans son jeûne) : "L'homme ne vit pas seulement de pain" (Évangile selon Mathieu, 4,4). Il s'identifie donc à se mouvement de conversion (de métanoïa) qui consiste à se détourner de nos désirs multiples pour s'orienter vers "l'unique nécessaire" (Luc, 10,42). D'une manière générale, le jeûne est souvent décrit dans l'Église orthodoxe comme un effort pour se libérer des dépendances qui asservissent l'esprit à des désirs non essentiels, afin de restaurer l'ordre naturel de l'intelligence à la sensation.

Cependant, les Pères affirment que cet effort n'est rien sans le secours de la prière (il ne s'agit pas d'arriver seulement à une maîtrise de soi, mais bien de réorienter son désir). Une parole mémorable (un apophtegme) d'un Père du désert, souvent citée dans l'orthodoxie, affirme que l'on ne peut se glorifier de jeûner sans prier et sans amour, car les démons jeûnent eux aussi (ils n'ont pas besoin de manger).

L'orthodoxie condamne par ailleurs toute volonté de performance dans le domaine des règles alimentaires (ce qui serait en fausser le sens) Comme le révèle par ailleurs cet autre célèbre apophtegme :

« Abba Isaac vint chez Abba Pœmen. Il le vit en train de se verser un peu d'eau sur les pieds ; et comme il était très libre avec lui, il lui demanda : Pourquoi certains ont-ils fait preuve d'intransigeance en traitant durement leur corps ? Abba Pœmen répondit : Nous, nous n'avons pas appris à tuer le corps, mais à tuer les passions. Et il dit encore : Tous les excès viennent des démons. »[3]

Le jeûne alimentaire

Pendant le Grand Carême, la plupart des orthodoxes pratique un jeûne alimentaire qui répond à certaines règles générales. Cependant, ces règles que nous décrivons ci-dessous, ne doivent pas être appliquées aveuglement : selon la tradition de l'Église orthodoxe, toute décision de jeûner doit se faire en consultation avec son Père spirituel (généralement son confesseur) afin d'en définir les modalités d'une manière adaptée à notre individualité (c'est ainsi que certains Pères peuvent, d'une façon apparemment paradoxale, recommander du repos à ceux qui sont incapables de s'en accorder, etc.).

Les règles générales du jeûne consistent à s'abstenir totalement de viande et de laitages (et certains jours de vin et d'huile). Cependant, le carême n'est pas pratiqué de la même manière les jours de la semaine (c'est-à-dire du lundi au vendredi), et le week-end. En effet, le samedi (jour du sabbat) et le dimanche (jour du Seigneur) sont considérés par l'Église orthodoxe comme des jours de fête, incompatibles avec un jeûne trop strict. Tandis que l'on s'abstiendra pendant la semaine de viande, d'huile (comme de toute matière grasse) et de vin, en se limitant de préférence à un seul repas (le soir) par jour ; il est en revanche permis les samedis et dimanches de carême de prendre deux repas par jour, accompagnés d'huile et de vin (mais non pas de viande).


Règles générales du jeûne alimentaire
Du lundi au vendredi Samedi et Dimanche

De préférence un seul repas par jour

Deux repas par jour

Ni huile ni vin

Huile et vin autorisés

Ni viande ni produits laitiers

Ni viande ni produits laitiers


Ces règles de jeûnes alimentaires doivent s'accompagner de méditations bibliques, d'efforts spirituels, d'assistance aux offices, sans quoi elles perdent tout intérêt spirituel, et ne peuvent alors que manquer ce qu'elles sont censées viser, ce qui en constitue le sens même.

La manière de vivre pendant le Carême

Le Carême, comme le rappelle Alexandre Schmemann, ne saurait se limiter à des actes extérieurs comme les règles alimentaires, la présence aux offices. Cette période implique une transformation générale de son style de vie en accord avec ces efforts. La plupart des orthodoxes vont par exemple, moins au cinéma ou en boîte de nuit pendant la durée du Carême, réduisent leur sorties, afin de créer un climat plus simple, plus dépouillé, sans trop d'attractions divertissantes, avec son rythme propre. (De nos jours, certains orthodoxes éteignent leur télévision durant le Carême, particulièrement les première, quatrième et septième semaines). Comme l'on se prive d'une nourriture, il s'agit aussi aussi de s'ouvrir et de s'habituer à une nourriture plus élevée, d'une meilleure qualité pour l'esprit et pour l'âme en se concentrant sur des lectures spirituelles, ou tout œuvre d'art possédant une valeur spirituelle.

De ce fait, il est de coutume de ne célébrer ni fête, ni mariage durant le Grand Carême, afin d'en respecter le "ton". Ce ton particulier au Carême porte un nom dans l'orthodoxie, celui de "radieuse tristesse" (ou encore "douloureuse joie" selon le choix de traduction, correspondant au grec charopeion penthos, littéralement "la tristesse produisant la joie") signifiant par là l'interdépendance, manifeste pendant le carême, qui lie la joie véritable à l'effort nécessaire pour se détacher de ce qui l'entrave. Il s'agit non pas d'une joie éphémère, superficielle, mais d'une joie exigeante ; non pas d'une tristesse menant à une forme de dépression, qui serait la tristesse du péché, mais la découverte de notre faute et de la possibilité d'en être sauvé, délivré.

Selon le même esprit, aucune Liturgie de Saint Jean Chrysostome, avec offrande de l'Eucharistie, considérée comme une véritable fête, ne saurait être célébrée les jours de la semaine du Carême. L'Eucharistie est durant le carême offerte uniquement le dimanche (qui étant "le jour du Seigneur" demeure un jour de fête) et lors, non pas de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, mais de la Liturgie de Saint Basile, plus longue et plus solennelle.

L'entrée dans le Carême orthodoxe

Cependant, si sa pratique est stricte, l'entrée dans le carême se fait de manière progressive. Toute grand fête ou période liturgique se doit, en effet, selon la tradition orthodoxe, d'être préparée à l'avance, à travers entre autre l'ordonnancement des lectures évangéliques du dimanche afin de permettre une conversion progressive. Le carême est donc préparé à travers cinq dimanches, évoquant chacun, à travers leurs lectures évangéliques, les étapes fondamentales de la conversion.

Sans doute faut-il compter, comme le fait Schmemann, le "Dimanche de Zachée" comme un dimanche de pré-carême, même si celui-ci n'appartient pas au Triode. L'évangile de ce dimanche (Luc 19, 1-10) évoque le désir du pécheur Zachée de voir le Christ, au point de monter en haut d'un arbre pour l'apercevoir, si bien que c'est le Christ qui le vit et s'invita chez lui.

Première semaine de pré-carême, dite "semaine de la viande"

La viande est autorisée cette semaine, même le mercredi et le vendredi qui sont habituellement des jours de jeûne.

  • Le premier dimanche ouvrant la première semaine de pré-carême, est appelé le "Dimanche du publicain et du pharisien". L'évangile (Luc 18, 10-14) de ce dimanche évoque la valeur de l'humilité, la prière humble du publicain étant agréée et non celle, fière, du pharisien.
Le Seigneur dit cette parabole : "Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers. Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé." (Évangile de Saint Luc, 18, versets 10 à 14).

Voir à ce sujet, sur un site de catéchèse orthodoxe : Dimanche du publicain et du pharisien

Deuxième Semaine de pré-carême

  • Le deuxième dimanche de pré-carême, premier jour de la deuxième semaine, est appelé le "Dimanche du Fils prodigue". L'évangile de se dimanche (Luc 15, 11-32) évoque la possibilité de résoudre le sentiment d'être exilé de Dieu, de revenir à lui.
« Il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, rassemblant tout son avoir, le plus jeune fils partit pour un pays lointain et y dissipa son bien en vivant dans l’inconduite. Quand il eut tout dépensé, une famine sévère survint en cette contrée et il commença à sentir la privation. Il alla se mettre au service d’un des habitants de cette contrée, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, et personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il se dit : Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ! Je veux partir, aller vers mon père et lui dire : Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes mercenaires. Il partit donc et s’en alla vers son père. Tandis qu’il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement. Le fils alors lui dit : Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Vite, apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! Et ils se mirent à festoyer. Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il fut près de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il s’enquérait de ce que cela pouvait bien être. Celui-ci lui dit : C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré en bonne santé. Il se mit alors en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit l’en prier. Mais il répondit à son père : Voilà tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils que voici revient-il, après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu fais tuer pour lui le veau gras ! Mais le père lui dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! » (Évangile selon Saint Luc 15, versets 11 à 32)
  • Samedi des défunts

Semaine des laitages ou de la Tyrophagie

Durant la Semaine des laitages, la viande est supprimée, mais les laitages et les œufs sont autorisés même le mercredi et le vendredi (jours habituels de jeûne). Lors de ces deux jours de la semaine, on ne célèbre pas la liturgie et l'on récite la Prière de Saint Éphrem (décrite plus bas).

  • Le quatrième dimanche est appelé "Dimanche de l’expulsion d’Adam du Paradis|Dimanche de l'abstinence de viande", parce qu'un jeûne limité à la viande est prescrit par l'Église à partir de la semaine qui le suit. Par ce jeûne débute, d'une manière graduelle, l'effort du Grand Carême, effort qui ne sera pleinement exigé qu'une semaine plus tard. Seuls le mercredi et le vendredi y sont considérés comme constituant déjà tout à fait deux jours de carême (avec les adaptations liturgiques propres au Carême). Dans l'évangile de ce jour-là, le Christ affirme que tout ce que nous faisons pour le plus petit, c'est à Lui que nous le faisons. Un autre aspect du Carême est ainsi évoqué : l'aumône, suivant l'ancienne tradition selon laquelle ce que l'on économise en jeûnant, on le redistribue aux plus pauvres.
« Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père. Héritez du Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais sans logis et vous m’avez recueilli, j’étais nu et vous n’avez vêtu, j’étais infirme et vous m’avez visité, en prison et vous êtes venus à moi. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé et t’avons donné à manger, ou être assoiffé et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu sans logis et t’avons-nous recueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu ? Quand t’avons-nous vu infirme ou en prison et sommes-nous venus à toi ? Et le Roi leur répondra : Amen, je vous le dis, ce que vous avez fait à l’un de mes frères, à l’un des plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. Alors il dira à ceux qui sont à sa gauche : Éloignez-vous de moi, maudits, au feu éternel préparé pour le diable et ses complices ! Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais sans logis et vous ne m’avez pas recueilli, j’étais nu et vous ne m’avez pas vêtu, infirme et prisonnier et vous ne m’avez pas visité. Alors eux aussi répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim ou soif, ou sans logis, ou nu, ou infirme, et t’avons-nous pas rendu service ? Alors il leur répondra en disant : Amen, je vous le dis, ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait ! » (Évangile selon Saint Mathieu, chapitre 15)
  • Samedi des Saints Ascètes

Le dernier dimanche avant le Carême

  • Le cinquième dimanche est appelé "Dimanche du Pardon ou de l'expulsion d'Adam hors du Paradis" (ou encore "dernier jour des laitages"). Le Carême est compris comme la libération de l'esclavage du péché (entré dans l'homme par une rupture de jeûne). L'évangile de ce dimanche (Mathieu 6, 14-21) dicte les recommandations nécessaires à cette libération : d'une part le jeûne ne doit pas être pratiqué de façon ostentatoire, d'autre part celui-ci n'a aucune valeur s'il n'est accompagné du pardon à son prochain ("Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi").
« Le Seigneur dit : Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi ; mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements. Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel : là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. »
  • Le rite du Pardon. À la fin des vêpres sont chantés les stichères de Pâques. La tradition veut que ce soir là, chacun demande pardon à ses proches pour leurs fautes volontaires ou involontaires, connues ou ignorées.

La prière du Carême orthodoxe

Une prière spéciale, attribuée par la tradition à saint Éphrem le Syrien, est récitée deux fois chaque jour du carême :

"Seigneur et Maître de ma vie,
ne m'abandonne pas à l'esprit de paresse, de découragement,
de domination et de vaines paroles ! (une métanie)

Mais fais-moi la grâce, à moi ton serviteur,
de l'esprit d'intégrité, d'humilité,
de patience et d'amour ! (une métanie)

Oui, Seigneur-Roi,
accorde-moi de voir mes fautes
et de ne pas condamner mon frère,
car Tu es béni dans les siècles des siècles ! (une métanie)

Amin."

La prière est dite deux fois. La première fois, une métanie (c'est-à-dire un prosternement) conclut chacune des demandes. Ces métanies ont beaucoup d'importance pour l'Église orthodoxe, car elles permettent de faire participer le corps à la prière, de restaurer celui-ci dans sa vraie fonction en tant que "temple de l'Esprit", car lui aussi est appelé, selon la théologie orthodoxe, à être transfiguré, à devenir glorieux. "L'homme tout entier, dans sa chute, s'est détourné de Dieu, l'homme tout entier devra être restauré ; c'est tout l'homme qui doit revenir à Dieu. (...) Pour cette raison, tout l'homme - corps et âme - se repent. Le corps participe à la prière de l'âme, de même que l'âme prie par et dans le corps. Les prosternements, signes psychosomatiques du repentir et de l'humilité, de l'adoration et de l'obéissance, sont donc le rite quadragésimal par excellence."[4]

On répète ensuite douze fois : "Ô Dieu, purifie-moi, pêcheur". On lit alors à nouveau, mais cette fois sans métanie, la prière de saint Éphrem.

Cette prière est construite selon un double mouvement, de la même manière que le psaume pénitentiel 50 (51), à la fois de purification de nos fautes et d'ouverture à la grâce de Dieu, correspondant au double aspect de la conversion baptismale de la mort du vieil homme et de la naissance en un homme nouveau, de la mort et de la Résurrection du Christ.

Selon le commentaire des Pères de l'Eglise orthodoxe, elle suivrait l'ordre d'engendrement des passions comme des vertus. Ce serait de la paresse et du découragement, compris comme absence d'effort dans la recherche d'une communion avec Dieu, que naîtrait le besoin de substitutions que sont le désir de domination et le bavardage inutile. L'intégrité (correspondant au grec sophrosunê, σωφροσύνη, mot difficile à traduire signifiant tout à la fois intégrité, chasteté, virginité et modération) est le contraire de la paresse comprise comme dispersement de ses forces et de ses désirs. Quiconque se connaît véritablement dans son intégrité, devient humble. Devenu humble, il est moins prompt à condamner les autres et à s'emporter contre eux ; sa vision s'est élargie au-delà de sa personne (il ne s'agit pas d'un aveuglement ni d'une indulgence, mais d'une compréhension). Le fuit de toutes les vertus, qui les couronne toutes, c'est l'amour (ou charité, c'est-à-dire l'agapè, un amour surnaturel, non pas un état sentimental, mais selon la théologie orthodoxe, la participation à une énergie divine).

La structure du Grand Carême

Une semaine avant le Carême, le jeûne commence progressivement par l'exclusion de la viande dans le régime alimentaire, à partir du Dimanche appelé "de l'abstinence de viande". C'est à partir du Dimanche du pardon, que s'initie véritablement le Grand Carême et que commence le jeûne strict, en excluant désormais tout laitage (et certains jours, l'huile et le vin).

Durant le Grand Carême, les péricopes lues sont prises uniquement dans l'Ancien Testament, se concentrant sur le livre de La Genèse, les Livres des Proverbes, et le Livre d'Isaïe.

Le grand carême s'achève par le Samedi de Lazare, précédant le Dimanche des Rameaux qui marque l'entrée dans la Semaine Sainte, précédant Pâques. (Au contraire des catholiques, les orthodoxes ne comptent pas la Semaine Sainte dans le compte des quarante jours de Carême.)

En semaine, il n'y a pas de liturgie sauf le mercredi et le vendredi, où est célébrée la Liturgie des Saints Dons Présanctifiés. Le samedi est célébrée la Liturgie de saint Jean Chrysostome ; le dimanche, la Liturgie de saint Basile.

La Première semaine de Carême

  • Lundi pur, suivant le Dimanche du Pardon, premier jour du Grand Carême
  • Le Grand Canon de Saint André de Crète est lu aux grandes Complies du lundi, mardi, mercredi et jeudi.
  • Samedi de Saint Théodore Tiron (miracle lié au jeûne).

La deuxième semaine de Carême

  • Le Premier dimanche de carême (premier jour de la deuxième semaine) est appelé le "Dimanche de l'Orthodoxie". Cette fête commémore la victoire de l'Orthodoxie sur l'iconoclasme et le rétablissement de la vénération des icônes.
  • Samedi des défunts

La troisième semaine de Carême

  • Le Deuxième dimanche de carême (premier jour de la troisième semaine) est appelé le "Dimanche de Saint Grégoire Palamas" ou des reliques. Grégoire Palamas justifia la doctrine de l'hésychasme devant ses détracteurs, en affirmant la possibilité pour l'homme de participer aux énergies incréées de Dieu.
  • Samedi des défunts

La quatrième semaine de Carême

  • Le Troisième dimanche de carême est appelé le Dimanche de la Croix ; marquant la mi-carême, il est un encouragement dans la poursuite de l'effort. A travers la croix, c'est déjà la victoire sur la mort qui est célébrée.
  • Samedi des défunts

La cinquième semaine de Carême

  • Le Quatrième dimanche de carême est appelé "Dimanche de Saint Jean Climaque", en mémoire de ce grand saint, rédacteur d'un des plus importants ouvrages de spiritualité du monachisme orthodoxe.
  • Le jeudi de la cinquième semaine de Carême est lu entièrement le Canon de Saint André de Crète.
  • Aux matines du Samedi est célébré l'office l'Acathiste à la Mère de Dieu.

La sixième semaine de Carême

La Fête de l'Annonciation

Cette fête fixe (25 mars) est toujours située pendant la période du Carême (dont les dates sont mobiles).

Références

  1. Le Grand Carême, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine,1974
  2. "Toute la liturgie de l'Église est ordonnée autour de Pâques, et, ainsi, l'année liturgique, c'est-à-dire la succession des saisons et des fêtes, devient un voyage, un pèlerinage vers Pâques, vers la Fin qui est en même temps le Commencement : fin de ce qui est vieux, commencement de la vie nouvelle, un passage constant de ce monde au Royaume déjà révélé en Christ" in Le Grand Carême, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine,1974
  3. Abba, dis moi une parole, Apophtegmes des Pères du désert, choisis et traduit par Lucien Regnault, ed. Solesmes, 1998, p.47
  4. Le Grand Carême, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine,1974, p.45

Bibliographie et liens externes

  • Le Grand Carême, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine,1974